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Chroniques
création de La Gerusalemme celeste de Jacques Lenot
Les Siècles dirigé par François-Xavier Roth
C’est un moment de musique française que propose Concerts à Saint-Étienne-du-Mont, ce vendredi, en accueillant l’orchestre de chambre Les Siècles, fondé il y a trois ans par François-Xavier Roth. En 1735, Jean-Philippe Rameau écrivit Les Indes galantes, opéra-ballet en quatre actes avec prologue, sur un livret de Fuzelier. Nous en entendons les quatre Entrées, formant Suite, dans une lecture qui, dès Le Turc généreux, imposeson élégance, un notable travail de dynamique pour Les Incas du Pérou, épisode plus aéré, et accorde une grâce un rien mélancolique à La fête persane avant de rebondir sur les célébrissimes Sauvages. Introduit par Rameau, le programme s’achève de même, puisque les artistes quittent le public avec la Suite de danses de Dardanus, tragédie lyrique en cinq actes composée quatre ans plus tard. On en goûte l’articulation parfois facétieuse, un louable souci de la nuance et une indéniable cohérence du geste.
Si l’on ne s’étonnera pas qu’en bis Les Siècles offre une page de Lully, on pourra considérer comme moins habituel que deux Suites de Rameau sertissent trois œuvres d’aujourd’hui, et plus surprenant encore de leur associer le Concerto en sol mineur pour orgue, timbales et cordes de Francis Poulenc. Rappelons que la soirée se veut un hommage à Maurice Duruflé qui nous quittait il y a vingt ans, après avoir été de longues années durant titulaire de l’orgue de St-Étienne-du-Mont (reconstruit en 1956 par les établissements Beuchet-Debierre). Or, c’est précisément Duruflé qui créa le Concerto de Poulenc, d’abord en audition privée, en décembre 1938 chez Madame de Polignac (commanditaire de l’œuvre) et sur son Cavaillé-Coll, avec Nadia Boulanger au pupitre, puis publiquement à la Salle Gaveau, sous la direction de Roger Désormière, six mois plus tard. Vincent Warnier en livre une interprétation haute en couleurs qui en assume sans vergogne l’inénarrable pompiérisme, tandis que François-Xavier Roth accuse des contrastes farouches, voire spectaculaires.
Jacques Lenot a beaucoup écrit pour l’orgue.
Si, à l’automne dernier, nous entendions Mon royaume n’est pas de ce monde [lire notre chronique du 17 novembre 2005], sa Gerusalemme celeste est aujourd’hui donnée en création mondiale. Dans un alliage timbrique d’une infinie tendresse, ponctuant des propositions interrompues de silence, introduites par les sonorités assez lisses des cordes, puis plus charnelles des cuivres, un calme suspens, inquiet, habite une verticalité qui tient l’écoute sur le qui-vive. Si le geste de cette litanie – le compositeur parle lui-même d’une « invective musicale litano-hymnique ou encore hymno-litanique » – mène peu à peu vers ce que l’on soupçonne éclosion exaltée, il se contient et se garde bien de la logique de la clé de voûte, pourrait-on dire, préservant un recueillement pudique. Après les cloches de l’orchestre, les volubiles questionnements ornementaux de l’orgue, aigus, fluets et incisifs, terminent dans l’élégance d’un effleurement cette profonde méditation sur l’Apocalypse de Jean et la Libre Jérusalem d’En Haut.
À plus d'un titre, écrire pour orgue et orchestre demeure un exercice périlleux. D'où en vint l'envie à Jacques Lenot ? Comment le réalisa-t-il ? Le compositeur nous fait l’amitié de répondre : « En 1992, je m'étais déjà essayé à cette formation, alors que le facteur d'orgue auprès de qui je m'étais alors retiré construisait un grand instrument dont la console aurait été de plain-pied avec le sol de l'abbaye à laquelle il était destiné. J'avais envisagé un effectif orchestral en trois groupes répartis en arc de cercle au pied de cette console, privilégiant les vents au centre, les cordes aux extrémités. L'équilibre des masses sonores me semblait habile par rapport à l'orgue central, surplombant le tout. J'entretenais le principe d'alternance des soli et tutti, comme pour commenter le psaume dont je m'étais inspiré et qui a donné son titre à la pièce : Au bord des fleuves de Babylone. Si je me suis remémoré cette première tentative, mon écriture s'est trouvée naturellement allégée par mon exigence de transparence et de clarté. L'effectif est raisonnable : bois et cuivres par deux, cordes non divisées, pas de claviers, ni harpe ni timbales ni percussion. L'alternance soli/tutti joue à plein.
La forme emploie la répétition des structures internes, en la variant toujours et en l'augmentant d'une péroraison. Toutefois, je laisse au soliste trois cadences libres, composées de seize accords de sept puis huit sons, la seconde étant accompagnée ad libitum du hautbois, du cor anglais et de deux trompettes. Il appartient à l'organiste de clore l'œuvre sur ces seize accords, rappelant ceux de la section centrale de Mon Royaume n'est pas de ce monde, soutenus par les mêmes notes à l'orchestre, pianissimo. Comme la plupart du temps, je n'ai pas registré la partie d'orgue. Il revient à Vincent Warnier de trouver les équilibres et de choisir les correspondances, échos et appels que je lui offre à l'orchestre. S'il y a péril, saturation, réverbération excessive et/ou décalages, il m'appartiendra donc de réviser ma partition après la première exécution, tout en sachant que la problématique sera différente dans une autre église et avec d'autres interprètes ».
Si, pour sûr, Vincent Warnier, Les Siècles et François-Xavier Roth gagneront en souplesse en jouant La Gerusalemme celeste plusieurs fois, cette première lecture absorbe l’écoute en autant de promesses plus équilibrées. À suivre, donc…
On connaît Daniel Roth en tant qu’organiste, professeur à Francfort (Musikhochschule) et titulaire du Grand orgue de Saint-Sulpice (Paris), après l’avoir été de celui du Sacré-Cœur (Duruflé est bien le fil rouge de la soirée, puisque Roth fut son élève). On sait moins qu’il est également compositeur, comme en témoignent un copieux catalogue d’œuvres dédié à son instrument, bien sûr, mais aussi Licht im Dunkel, page pour orchestre commandée par la ville de Ludwigshafen où elle fut créée en mai 2005, par la Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz sous la direction de François-Xavier Roth qui en présente ce soir la première française.
BB